Et tout à coup, le craquement.
Et tout à coup quelque chose céda. Alors le fracas. Chaos K-O.
La catastrophe, ultime précipitation dans un non-sens abyssal, déflagration intérieure intégrale et émiettement. Vavavacuité-videvidevide-évidé-décharné-décomposé-tirtirtiraillé.
A vouloir s’immoler, en finir avec le feu rongeur-rageur et accélérer la consomption.
Cracher Rugir du feu intérieur, hurler, bramer, prier. Prier pour que le supplice cesse enfin.
« Ce fut ainsi », me dit-elle. « Un jour, je ne pus plus me lever. Je ne pus plus aller travailler. Quelque chose s’était cassé. »
Et puis la chute. Et puis la psychiatrie. Mais de l’autre côté. Soignant devenu soigné.
Combien sont-ils comme elle ? Combien de salariés, combien de soignants en état de déflagration intérieure et d’électro-encéphalogramme plat ?
L’accroissement de la part des pathologies liées au milieu professionnel (burn-, bore- et brown out, dépression sévère, anxiété, stress post-traumatique,…) dans notre clientèle, et particulièrement chez les personnes exerçant une profession en relation avec les autres (souvent dite « à vocation », comme pour les enseignants, les infirmiers, les aide-soignants) nous a incités à nous interroger sur les causes possibles de ces effondrements identitaires.
Il s’avère que toutes les personnes rencontrées mettent en avant une perte de sens, une désagrégation de leurs valeurs personnelles au sein de leur environnement professionnel souvent pourvoyeur d’injonctions paradoxales, se retrouvant ainsi dans une situation de dissonance et de tiraillement intérieur particulièrement délétère (« je me retrouve à faire des choses qui sont inacceptables pour moi ») érodant progressivement le fil de leur alignement interne et de leur motivation, jusqu’à la cassure et la dissolution.
« Lorsque vous vivez un conflit de valeurs, votre motivation décline et fait place à un sentiment d’insatisfaction pouvant aller jusqu’à une forme de souffrance nommée souffrance éthique. » G. du Penhoat
Penser le bien-être ou la Qualité de Vie au Travail ne peut s’envisager sans la prise en considération de cette notion de valeurs intrinsèques – qui assument une fonction centrale dans l’édification et le maintien d’une identité et de l’estime de soi -, de la question du sens (dans toutes ses acceptions : signification, direction, perception) et de celle de la cohérence, tant au niveau individuel qu’au niveau de l’entreprise ou de l’organisation qui promeut, voire assène, ses propres valeurs. Dans quelle mesure me sens-je aligné et en cohérence de rôle ? Dans quelle mesure suis-je congruent avec mes idéaux, ce qui m’anime et ce que je proclame ? Répondre à ces questions relève de la responsabilité individuelle, mais aussi de celle du management.
Prévenir la souffrance éthique passera par un questionnement sur les conditions d’exercice sans entrave, nourries de sens et d’authenticité, du travailleur au travail.
Prendre soin de l’humain au travail, prendre soin de soi, et de l’autre.
Prendre soin de celui qui prend soin.
Pour une cohérence de sens, une congruence d’être et de faire.
Pour un « care with care ». Tout simplement.
Karine Plagnard